Une petite vieille

Hier soir, j’étais très en retard. Pourtant, soucieux du bien-être de mes contemporains, je mesurais les conséquences de chaque coup de volant, de chaque appui sur la pédale de droite (à ce propos, il paraît qu’il y en a plus à gauche mais on s’éloigne du sujet) et j’ai privilégié la sécurité à la vitesse.

Pourtant, cela ne m’a pas empêché de faire la connaissance d’une petite vieille imbibée traînée par un caddie carrefour débordant de mille trésors (j’ai pu identifier, a priori – car à cette vitesse là est-on sûr de ce que l’on voit ?, une couverture d’une propreté douteuse, un chien unijambiste, une enclume verte, un rat mort, un balai dégarni, une pile 9v, un cendrier Ikéa, et j’en passe). Cette petite vieille a eu l’outrecuidance de se jeter à grande vitesse sur mon capot alors que j’étais presque à l’arrêt.  Confortablement allongée sur ledit capot, elle tenait des propos incohérents relatifs à ma sexualité et à la profession de ma maman dont elle disait le plus grand mal.

Son visage bouffi et rougeaud dégoulinait devant les petits orifices par où l’air froid du dehors pénètre autour du moteur pour y être réchauffé puis soufflé dans l’habitacle. Cela m’a permis de constater sans l’ombre d’un doute qu’elle avait certainement abusé de quelques boissons sans trop d’eau…

Bref, comme elle était animée de soubresauts désordonnés et qu’elle salissait sans vergogne mon pare-brise, j’ai actionné avec un certain humour le lave-glace. Là, elle est devenu franchement hostile, les gens sont tristes. Au lieu de profiter de cette occasion qui lui était offerte de se débarbouiller un peu (ce qui n’aurait pas été du luxe), elle s’est cru autorisée à ostensiblement négliger l’opportunité et à glisser, lentement, sur mon capot, laissant sur son passage une trace peu avenante comme les mucosités visqueuses qu’on attribue d’ordinaire aux limaces.

J’hésitais à lui demander de remplir un constat amiable. Elle m’avait clairement coupé la priorité et quittait une place de stationnement. Mais, je n’étais pas sûr qu’on pouvait indiquer « caddie carrefour » dans la case « identification du véhicule B » et ce dernier n’avait pas d’ « imat »… Par ailleurs, rien me laissait penser qu’elle avait contracté la moindre assurance.

Nous nous sommes quittés bons amis malgré tout, je lui ai même donné l’heure et l’adresse de mon coiffeur. Peut-être ai-je bêtement laissé partir dans la nuit froide la femme de ma vie…